28 juin 2010

Election présidentielle brésilienne 2010 : Dilma, Serra ou Marina ?

Voilà maintenant plusieurs semaines et un petit post datant de...mars dernier que je ne vous ai donné de nouvelles sur la grande échéance qui attend le Brésil en octobre prochain (non je ne parle donc pas de la finale de la Coupe du Monde, programmée le 11 juillet, que 193 millions de brésiliens attendent impatiemment !), en l'occurence la désignation du nouveau président de la République Fédérale du Brésil ! 135 millions de brésiliens sont ainsi appelés aux urnes le 3 octobre 2010, pour un vote qui est obligatoire, et à l'issue duquel ils auront désigné non seulement le (la ?) successeur de Lula, mais aussi son vice-président, l'ensemble des députés fédéraux, les deux tiers de sénateurs et enfin les 27 gouverneurs d'états et le petit millier de représentants des parlements des Etats (ouf !). Une élection majeure donc dans le système politique brésilien (seuls les maires sont élus à un autre moment -en 2012 pour la prochaine magistrature).

Allez, à quelques jours de l'ouverture de la campagne officielle, je vous propose un petit résumé du dernier trimestre sur l'actu-clé de ces élections et quelques perspectives et réflexions pour les prochains mois :

1. Le "tchau" de Ciro :  Ciro Gomès (photo ci-contre), député fédéral de l'état du Ceara pour le petit PSB (Parti Socialiste Brésilien), personnalité majeure de la scène politique brésilienne depuis 20 ans (il a en particulier été gouverneur de l'état du Ceara, éphémère ministre de l'Economie d'Itamar Franco au début des années 90 et encore ministre de l'Intégration Nationale de Lula de 2003 à 2006), n'a finalement pas obtenu l'appui de son parti (qu'il avait pourtant "sauvé" d'une probable disparition en 2006 en se présentant son son égide à l'élection présidentielle précédente) pour concourir de nouveau en 2010 : dans un troc dont seule la politique brésilienne a le secret, le PSB a renoncé à nommer son propre candidat (et a annoncé son soutien à la petista Dilma Rousseff, égérie de Lula), en échange de quoi le PT a décidé -entre autres accords locaux- de ne pas présenter de candidat contre...Cid Gomès, le gouverneur du Ceara et propre frère de Ciro !  C'est une triste nouvelle pour la pluralité démocratique, pour l'intérêt de la présidentielle (Ciro est quelqu'un de vraiment intéressant et passionné, quoiqu'un peu cyclothymique ;), et au final ce n'est pas forcément un bon calcul de la part du PT (qui a évidemment poussé à cet accord) : le PSB étant un allié historique, où seront les réserves de voix au second tour pour Dilma (celui-ci étant probable, je ne vois pas l'un ou l'autre des candidats obtenir plus de 50% des voix au premier tour) ?  

2. Petites combines entre (faux) amis :  L'une des caractéristiques les plus étonnantes des élections au Brésil, qui tient au fait que l'on élit à la fois le président, les députés et les gouverneurs fédéraux, est le jeu ahurissant d'alliances et de ruptures qui se déroule incessamment entre les différentes forces politiques du pays, aux différents niveaux de cet état-continent : les accords nationaux (par exemple celui qu'ont scellé le PT de Dilma et le PMDB de Michel Temer -qui devrait d'ailleurs être selon toute probabilité le candidat à la vice-présidence de Dilma dans cette élection) ne sont pas respectés dans tous les Etats (ainsi, dans le Rio Grande do Sul, terre traditionnelle de "droite", le PMDB local a décidé de soutenir le candidat du PSDB, José Serra, pour que son candidat au poste de gouverneur, José Fogaça, ait de plus grandes chances -théoriques- de victoire). Autre exemple, plus surprenant encore puisque prenant place dans l'Etat du Pernambuco, terre historiquement "luliste", le candidat du PMDB au poste de gouverneur, Jarbas Vasconcelos, est soutenu par le PSDB face au candidat...PSB Eduardo Campos, le PSB étant lui-même allié national du PT ! Vous suivez toujours ? :) Bref, on prend clairement ses aises face aux "diktats" mous des états-majors de partis nationaux, en privilégiant bien souvent la scène politique locale et son intérêt particulier au détriment de la cohérence générale. Grosse cacophonie, donc, même si les brésiliens sont maintenant habitués et dans le fond n'y accordent que peu d'importance. 

3. La guerre des médias aura bien lieu : La défection de Ciro laisse la champ médiatico-polique occupé par seulement trois personnalités (dont en réalité deux sont véritablement en position de l'emporter) : Dilma Rousseff, la "créature" de Lula et ancienne chef de la maison civile -équivalent de notre premier ministre- du gouvernement PTiste entre 2006 et 2010 ; José Serra, l'ex-gouverneur de l'Etat de São Paulo et candidat du PSDB pour la seconde fois (la première tentative fut en 2002, et Serra fut battu à plates coutures par Lula) ; Marina Silva, l'ex-ministre de l'environnement de Lula et candidate sous les couleurs du PV (Partido Verde, écologique). Ces trois-là ont entamé depuis quelques semaines une campagne médiatique de grande ampleur pour séduire les nombreux indécis. Une des journaux (cf les unes de Istoé et de Veja ci-dessous -je reviendrai dans un prochain post sur le détail des interviews donnés par Dilma et Serra dans les deux newsmagazines phares du Brésil), clips célébrant la gloire des pré-candidats sur les télévisions nationales (ceux du PT, que je vous fais découvrir ci-dessous, valent vraiment le détour : c'est un incroyable panégyrique dédié aux nombreux talents supposés de Dilma !), présence massive sur le web (en particulier de Marina -qui ne dispose pas des mêmes moyens financiers que ses adversaires issus de deux grands partis, son site officiel de campagne est excellent, mais aussi de ses fans, très actifs sur Internet !), tous les médias sont sollicités pour faire gagner en notoriété et crédibilité chacun des candidats "majeurs". Et cela va encore s'intensifier après la Coupe du Monde de Foot (qui occupe pas mal de l'espace médiatique, il faut l'avouer !) et le début de la campagne officielle ! 



Les films du PT pro-Dilma, à visionner vraiment ! A noter que Lula fut "puni" par le Tribunal Suprême Fédéral pour "campagne anticipée" ! 



4. Sondage, sondage, dis-moi qui est le plus beau (belle) Qui dit élection dit également guerre des sondages ! Le Brésil ne déroge pas à cette règle, et chaque enquête, en particulier de l'institut de référence Ibope, fait l'objet de son lot de commentaires, critiques, encouragements, déceptions et autres manoeuvres en tout genre. La dernière livraison de l'Ibope, sortie voici trois jours, a fait l'effet d'une mini-bombe : pour la première fois, Dilma passe devant Serra en intentions de vote (40% pour Dilma, 35% pour Serra) ! Plus inquiétant encore pour le candidat du PSDB, la région Sud, terre traditionnelle du parti de centre-droit, voit progresser très sensiblement la petista, qui grimpe de 26 à 34% d'intentions de vote (Serra chutant de 46 à 42%). Même scénario pour la région Sudeste, essentielle car elle concentre près de 40% des votants (Etats de São Paulo, Rio et du Minas Gerais) : Dilma prend la tête des intentions de vote (37% contre 36% à Serra) alors que l'écart était encore de 8 points en faveur de Serra il y a un mois ! Il semble ainsi que Dilma (et Lula) sont en train de gagner leur pari, celui qui consiste à faire croître en notoriété et sympathie la candidate qui apparaissait jusqu'alors peu charismatique, technique et rigide, en surfant sur l'incroyable popularité du président sortant (encore plus de 80% d'approbation de sa politique en mai dernier). Serra doit réagir, et vite, s'il ne veut pas se laisser distancer irrémédiablement. Il ne pourra certainement pas le faire en annonçant le nom de son candidat à la vice-présidence : il comptait sur le très populaire PSDBiste Aecio Nevès, ex-gouverneur de l'Etat du Minas Gerais, mais celui-ci a annoncé fin mai refuser "cet honneur", préférant concourir au Sénat...et rester dans une forme d'ombre en attendant 2014 et les prochaines présidentielles. De son côté, Marina stagne à 9% d'intentions de vote...seule elle semble encore croire à sa présence au second tour...
Ci-dessous le détail de l'étude Ibope : 



Suite des aventures présidentielles sur le blog du Frenchman ! Restez tuned ! ;)

10 juin 2010

Le Brésil et le football, par le sociologue Roberto DaMatta

A quelques encablures désormais du début de la 19ème Coupe du Monde de Football (dont j'espère qu'elle verra briller les 3 équipes qui me sont chères, soit la France, la Slovénie et...le Brésil), je voulais vous donner à lire la passionnante interview que l'anthropologue et sociologue brésilien Roberto DaMatta a accordé hier au journal Lance (l'équivalent de notre L'Equipe) et qui éclaire la relation intime que le Brésil et les brésiliens entretiennent avec le football. Parce que le football est une chose on ne peut plus sérieuse au Brésil, à telle enseigne que Roberto DaMatta a consacré pas moins de trois livres sur l'influence que le ballon rond exerce sur les fondamentaux de la société brésilienne...

En voici donc les meilleurs extraits:

Lance : "Quelle est l'importance du football pour le Brésil ?"
Roberto DaMatta : "Le football met en scène une triple 'dramatisation' de notre société, de trois de ses aspects les plus importants. Le premier est la 'dramatisation' de la victoire, dans une société où la majorité ne gagne rien et n'inspire aucun respect. Le second est l'expérience, unique dans la société brésilienne, du sentiment d'égalité : en s'associant à une équipe, le brésilien sort de la sphère du quartier, de la famille ou du travail et entre dans un monde qui associe égalité et modernité. Le football est moderne, il a des règles que tous sont obligés de suivre, riches et pauvres, blancs et noirs. Enfin, en soutenant une équipe, le supporter acquiert une identité spécifique, un lien fort avec quelque chose qui existait avant lui, qui existe avec lui (mais qui ne dépend pas de lui et lui impose une série d'obligations, comme porter le maillot de son équipe ou continuer à supporter celle-ci, qu'elle gagne ou qu'elle perde), et qui va continuer à exister même après que ce supporter décède."
L : "Quel est le rôle de la sélection nationale ?"
RDM : "La sélection nationale a eu un rôle fondamental dans le renforcement du sentiment national, qui est représenté par le drapeau ou les couleurs nationales, et a créé un véritable amour pour le Brésil. Dans les années 1920 à 1940, il y avait une mythification de l'étranger. Les brésiliens se sentaient inférieurs devant quelqu'un de plus grand et de plus blanc. Quand le Brésil a commencé à gagner, à partir de 1958, le sentiment de fierté d'être brésilien a changé du tout au tout !"
L : "Pourquoi durant la Coupe du Monde y a-t-il un tel sentiment de patriotisme ? Même les personnes qui n'aiment pas le football se prennent au jeu !"
RDM : "Cela arrive également dans d'autres pays où le football bénéficie d'une position hégémonique. Le football a cette capacité d''engagement'. Etant joué avec les pieds, il existe une forme d'imprécision qui n'existe pas dans les autres sports. De plus, c'est un sport universel : quelle que soit votre taille, vous pouvez y jouer et de surcroît, il est basé sur la continuité d'action et de jeu, et non la 'discontinuité', comme peut l'être le football américain."
L : "Vous avez écrit que le style du football brésilien qui est de dribbler plutôt que de chercher le duel est un réflexe culturel des brésiliens, qui est de contourner les problèmes et d'éviter les confrontations. La sélection de Dunga a un style opposé. Le peuple préfère t-il plutôt le style brésilien ou la victoire ?"
RDM : "La sélection de Dunga s'adapte à la modernité du football, qui est de gagner à tout prix. Le 'style' est autre chose, de plus génétique. Chaque entraîneur imprime sa personnalité à son équipe. Dunga était un joueur limité, mais guerrier, et il souhaite insuffler cet esprit guerrier à son équipe. Ceci étant, jouer en défense, préserver son but a beaucoup à voir avec l'amour du maillot, le sens du sacrifice. Et puis le sens de l'histoire est aussi d'offrir moins de spectacle, moins de 'show', car ceci pourrait s'associer presque à du cirque pour seulement gagner plus d'argent, ce qui est malheureusement arrivé pour l'équipe du Brésil en 2006."
L : "Qu'apporte au Brésil le fait d'avoir autant de joueurs évoluant à l'étranger ?"
RDM : "Ces joueurs sont des instruments absolument incontournables de diffusion des valeurs du Brésil dans le monde. Ces gars font plus pour le Brésil que tous les ministres du gouvernement réunis. Dans la diffusion de valeur comme l'éducation, la modération, la joie de vivre ou même dans leurs excès. Pelé a plus fait pour le Brésil que tous les ministres des affaires étrangères réunis. Et puis, ce qui est fantastique, c'est que la plupart d'entre eux, noirs et descendants d'esclaves, sont aujourd'hui les vrais représentants de la diversité du Brésil, avec un rôle à jouer plus important que les politiques. Ces jeunes sont le Brésil personnifié."

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